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23 octobre 2007

Le diable au corps

En voilà une arnaque ! Annoncée partout comme un roman sulfureux, la vie de Raymond Radiguet me semblait à même de produire un roman génial, subversif à souhait et poétique... en diable ! Mais non. Cette première impression doit être à tout prix tempérée, et le mythe vivant autour du roman ne s'est pas construit à partir de rien, loin de là.

Reprenons. L'histoire se passe dans la France en guerre du début du siècle, période correspondante à la jeunesse de l'auteur. Celui-ci, en guise d'éducation sentimentale, tombe amoureux d'une jeune femme plus âgée que lui de cinq ou six ans. Adolescent, il va devoir concilier ce premier amour, le mariage de Marthe et son inexpérience chronique.

On peut voir beaucoup d'éléments révolutionnaires dans ce livre. L'auteur, en toute innocence, vit la relation amoureuse la plus tranquille qui soit avec une gentille ingénue abandonnée par son soldat de mari. Au lendemain de la guerre, on comprends sans peine que des affaires de ce type ont bel et bien eu lieu, et que leur narration dans un roman représente une énorme provocation. Par ailleurs, le héros est bien plus jeune que sa conquête, ce qui donne encore du grain à moudre aux tenants de la morale, à peine émoussés par les surréalistes, en ces années 1920. Enfin, le ton faussement innocent, doucereux et presqu'obséquieux de Radiguet nous amène naturellement à penser qu'il se moque du monde.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi avoir conservé une telle aura ? Comment ce mythe a-t-il pu demeurer au panthéon des oeuvres subversives ? Il comporte des aspects profondément atemporels, qui doivent à tout prix nous faire oublier ce contexte de guerre. Finalement, l'aspect respectable, moral, de l'occupation de Jacques (le mari trompé) peut être escamoté, pour tout autre activité qui serait aussi prenante. François, notre jeune héros, ne s'arrête pas sur l'idée de nation, de conflit ou de combat. Ce livre nous parle des réflexions, plus ou moins conscientes, que nous n'avouons jamais sans pour autant les réprimer. Souhait de la mort de Jacques, besoin inextinguible de déranger Marthe, volonté de provoquer certaines crises, jouissance de la complicité inavouée du père... Ces sentiments sont rendus de manière impressionniste, mais très marquante. On adhère jamais aux intentions du narrateur, parfois très malsaines, mais on les comprends toujours. Sans vanter cette conception de la vie comme on aurait pu le croire, et comme pourrait la défendre un philosophe nihiliste, l'auteur nous montre superbement comment on peut intégrer et accepter cette démarche intellectuelle.

Vient enfin l'écriture, qu'on aurait encore pu croire pleine de trouvailles poétiques et de ressorts littéraires, et là encore, c'est plus subtil. Les mots sont simples, ainsi que les formules. Les descriptions, courtes, situent à peine le cadre de l'histoire, et l'auteur utilise à plein le contenu géographique des mots. Il localise l'aventure au bord de la Marne, si agitée quelques dizaines de kilomètres en amont. Mais où est donc l'intérêt ? Pour moi, c'est la naïveté et la lucidité des sentences qui donnent leur intérêt aux pensées du narrateur. L'extraordinaire maturité dont il fait preuve lui confère un recul très impressionnant sur sa démarche de lycéen, d'amant et même parfois de père. Cette acuité humaine, il nous la livre cependant avec des visées inhérentes à son âge, et c'est le seul bémol que l'on puisse trouver.

Un grand bouquin, sans aucun doute. La puissante psychologie de l'auteur, quelques années plus tard, aurait pu être mise au service d'une oeuvre encore plus marquante, mais la fièvre typhoïde en a décidé autrement. Un véritable génie, certes, dont on aurait perdu les chefs-d'oeuvre majeurs.

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