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11 octobre 2007

A l'Ouest, rien de nouveau

On a lu beaucoup sur le premier conflit mondial de l'Histoire, mais nous autres français cédons parfois à la grande tentation de ne lire que les récits qui viennent de notre camp. Voilà un ouvrage qui permet de nous remettre quelques idées en place. Nous célèbrerons d'ailleurs dans quelques années le centenaire de cet embrasement généralisé. Qu'en reste-t-il alors que les nazis ont balayé nombre de tristes records ? Une plongée dans les romans d'époque nous le rappelle très vite.

La Première Guerre Mondiale a été une guerre charnière. Faite avec les armes du vingtième siècle, elle était néanmoins régie par des stratégies du dix-neuvième et portée par un ressentiment politique issu de ce même siècle. La considération apportée aux soldats s'en est d'ailleurs ressentie, et l'expérience qu'ont vécu ces derniers n'a rien à voir avec la "drôle de guerre" de 1940. Erich-Maria Remarque nous fait part de ces moments avec une grande précision psychologique, même au travers du prisme de la traduction en français. D'aucun disent que ce roman est pacifiste, mais je crois que ce qualificatif dénote plus un bellicisme prononcé chez celui qui l'emploie qu'il ne reflète la réalité de l'ouvrage. Le texte est bien plus humaniste et franc, sans aucun parti pris ni aucune polémique d'aucune sorte, bien qu'il fut brûlé par les nazis lors de leur ascension postérieure.

L'engagé Paul Braümer est un européen comme les autres. Dans son pays, il y a des gens qui ont arrêté l'école rapidement pour apprendre leur métier et devenir artisan. Il y a des fils d'agriculteurs amoureux de la terre. Il y a des filous, des benêts, des naïfs, des prodiges, des héros, des bons-à-rien... Son Allemagne est notre France, à la même époque. L'idée d'évoquer l'Alsace et la Lorraine ne lui vient naturellement pas, mais il respecte infiniment les jeunes françaises qu'il rencontre dans une scène très rafraîchissante au milieu de ces pages lugubres. Permettez-moi de citer Lazare Ponticelli, un des deux derniers poilus français officiellement recensé. Il participait aux premiers combats, dans les bois de l'Argonne, et raconte cette histoire : "Un homme était blessé, entre les lignes. Il criait : "Venez me chercher, j'ai la jambe coupée !" Les brancardiers n'osaient pas sortir. J'y suis allé avec une pince. Mais je suis d'abord tombé sur un allemand, le bras en bandoulière. Il m'a fait "deux" avec les doigts. J'ai compris qu'il avait deux enfants. Je l'ai pris, et l'ai emmené vers les lignes allemandes. Quand ils se sont mis à tirer, il leur a crié d'arrêter. Je l'ai laissé avant la tranchée, et il m'a dit "Merci". Je suis reparti en arrière, près du blessé français. Il serrait les dents. Je l'ai tiré jusqu'à la tranchée, avec sa jambe de travers. Il m'a embrassé, et m'a dit : "Merci pour mes quatre enfants !"."


On pourrait égrener la longue liste de ces manifestations de fraternités entre les peuples, et cela nous ferait du bien, mais ce n'est pas exactement le propos de Remarque. Au-delà de l'absurdité de la violence, bien perçue par les troupes, c'est la communion humaine qui transparaît. Que ce soit un Russe ou un Français, l'ennemi est un homme qui a droit à la vie, et jamais le soldat Paul ne tue volontairement. Lui et ses camarades d'infortune ne cherchent en fait qu'à survivre au milieu des obus, des mines et des gazs... Ces besoins primitifs, évoqués avec une acuité touchante, montrent bien la régression induite par le conflit, et le passéisme idéologique qui permet la déclaration de guerre. C'est quand on le sent vanter avec assurance les qualités d'une pelle aiguisée pour monter à l'assaut qu'on comprend la barbarie atteinte dans un affrontement de ce type. Les tranchées furent un aspect de la guerre pour nous autres qui ne les avons pas connues, mais il faut comprendre ce qu'elles ont représenté comme symbolique tombale pour des centaines de milliers de soldats !

La permission est superbement évoquée, au détour des pages, qui nous fait penser au Désert des Tartares, tant l'incompréhension avec ceux de l'arrière est grande. A l'hôpital, c'est différent. Tous sont soldats, et tous ont une bonne raison de se reposer. C'est d'ailleurs dans ce lieu de paix, tenu par des religieuses, que l'espoir de la vie reviendra. Ces tranches de vie militaire, finement mais pleinement décrites, ne peuvent que nous conforter dans l'idée progressiste de la diplomatie et de la non-violence. Gandhi nous a enseigné que ce concept était partagé par les civilisations hindoue et européenne. Espérons qu'avec des ouvrages comme celui-ci, d'autres leur emboîteront le pas !

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